Clap de fin pour la COP16 Biodiversité : quel bilan ?

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PAR Aurélie Babin

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15min de lecture

Biodiversité

Biopiraterie, financements, crédits biodiversité, populations indigènes, ... Découvrez le bilan de la COP16 Biodiversité.

SOMMAIRE

La COP16 Biodiversité vient de s’achever en Colombie après deux semaines de discussions et négociations. Cette édition était très attendue, alors que le monde traverse une crise majeure de la biodiversité (qui menace aussi notre espèce, l’érosion de la biodiversité étant une des six limites planétaires dépassées à ce jour sur les neuf limites définies). Les pays signataires de l’accord-cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal (issu de la COP15) ont-ils réussi à faire la paix avec la nature (le slogan de cette édition) ? Quel bilan tirer de la COP16 Biodiversité ?

Les discussions de ces deux dernières semaines se sont orientées sur la mise en œuvre concrète de l’accord qui comporte quatre grands objectifs et une liste de 23 cibles chiffrées à atteindre pour stopper et inverser la perte de biodiversité d’ici 2030. À l’agenda des discussions, le bilan des plans d’action et stratégies des parties signataires, le financement, l’accès aux ressources génétiques de la biodiversité, les droits des peuples indigènes et communautés locales, et l’unification des efforts pour la biodiversité et contre le changement climatique.

Les négociations se sont achevées de manière un peu abrupte, en cours de session plénière, samedi 2 novembre, sur décision de la présidente et ministre colombienne de l’environnement, Susana Muhamad : les représentants encore présents n’étant pas assez nombreux pour l’adoption au consensus des textes négociés pendant les deux semaines.

« La planète n’a pas de temps à perdre. »

Susana Muhamad, présidente de la COP16 et ministre colombienne de l’environnement et du développement durable

« Nous pouvons – et devons – sauver les écosystèmes qui nous soutiennent et maintenir nos objectifs climatiques à portée de main. La survie de notre planète – et la nôtre – est en jeu. Choisissons judicieusement. Choisissons la vie. Faisons la paix avec la nature.« 

Antonio Gutteres, secrétaire général des Nations Unies

COP16 Biodiversité : quel est le bilan des progrès en matière de protection du vivant depuis la COP15 ?

Avant l’ouverture de la conférence, la grande majorité des 196 pays participants à la COP16 n’avaient pas soumis leur plan national d’action et stratégies pour la biodiversité. Seuls 32 nations et l’Union européenne avaient soumis leur plan national, et 103 nations avaient soumis leurs objectifs nationaux alignés. Des discussions ont donc porté sur le cadre de suivi dans la mise en œuvre de l’accord de 2022. L’objectif était d’arriver à un accord sur des indicateurs manquants nécessaires pour le suivi des progrès dans l’atteinte des cibles chiffrées (par exemple pour la réduction des pesticides ou la santé des récifs coralliens). Les négociations, parfois difficiles, n’ont pas abouti. L’évaluation mondiale des progrès des pays signataires commencera donc dans des conditions moins favorables en 2026 lors de la COP17 Biodiversité en Arménie.

Il reste encore beaucoup de chemin pour que tous les pays atteignent l’objectif de protection de 30% des terres et des mers de la planète d’ici à 2030, et la cadence doit donc être accélérée pour respecter l’échéance. Selon le dernier rapport de Protected Planet publié pendant la COP16, seuls 17,6% des terres et 8,4% des mers sont actuellement protégés. Pourtant, les efforts de protection sont bien présents. Selon le même rapport, 51 pays et territoires ont atteint leur objectif cible de protection des terres et 31 nations ont dépassé l’objectif cible de 30% de protection des mers. Récemment, la plus grande zone marine protégée de l’Atlantique nord a été créée dans l’archipel portugais des Açores.

Les efforts doivent être poursuivis, mais la qualité de la protection doit être un critère d’importance pour atteindre convenablement l’objectif de l’accord-cadre. En effet, une analyse du Muséum d’Histoire Naturelle de Londres montre un déclin de la biodiversité plus grand dans des zones critiques protégées par rapport à des zones critiques non protégées. Cela indique que les efforts de conservation ne sont pas efficaces et doivent être améliorés. Pour y remédier, l’accent doit être mis sur la qualité des zones protégées, leur gestion efficace et leur valeur pour la nature et les populations.

Des désaccords profonds autour du financement pour la biodiversité

Enjeu clé de la COP16 Biodiversité, le financement pour la biodiversité a enflammé les discussions et son bilan est assez décevant. Des critiques avaient été émises par les pays en développement concernant les montants annuels à verser par les pays développés (20 milliards de dollars d’ici à 2025 et 30 milliards de dollars d’ici 2030), jugés très insuffisants pour pallier le manque de financement alloué à la biodiversité jusqu’alors (des experts ont estimé qu’il faudrait près de 700 milliards d’euros par an pour restaurer la nature). Depuis 2022, les pays développés ont peu alimenté le fonds mondial pour la biodiversité, compromettant la confiance dans la COP. À la COP16, huit pays, dont la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, se sont engagés à contribuer à hauteur totale de 163 millions de dollars, ce qui porte le montant des contributions à 400 millions de dollars, loin derrière les 20 milliards par an d’ici à 2025 décidés à la COP15. Malgré leurs responsabilités, les entreprises du secteur privé, elles, restent totalement absentes du financement pour la biodiversité.

Les pays en développement souhaitaient également la création d’un fonds mondial pour la biodiversité, indépendant du Fonds pour l’Environnement Mondial, avec un fonctionnement et une gouvernance propres, et un accès aux financements plus faciles. Les pays développés s’étaient opposés à cette proposition. Ce sujet a donc divisé les pays riches donateurs de fonds et les pays en développement receveurs dès les premières discussions à Cali. Pour avancer, plusieurs options alternatives à la ratification du fonds actuel se présentaient : créer le nouveau fonds demandé, évaluer à nouveau sa nécessité, ou bien reporter la décision à la COP17. À la fin des discussions le 1er novembre, la question de la création d’un nouveau fonds n’était pas tranchée.

Des “crédits biodiversité” pour financer la protection et restauration de la nature ?

L’une des cibles de l’accord de 2022 prévoit la création de « crédits » inspirés des crédits carbone, critiqués par des experts et associations de conservation de la nature. En 2023, un panel international lancé par la France et le Royaume-Uni (International Advisory Panel on Biodiversity Credits), avait pour objectif de proposer des recommandations pour la création de crédits biodiversité à haute intégrité qui récompensent les actions bénéfiques en faveur des écosystèmes, en évitant les écueils des crédits carbone (par exemple la revente). Le rapport de ce panel a été présenté le 28 octobre à la COP16, tandis que des ONG manifestaient. Parmi ses messages clés, les peuples indigènes et communautés locales sont reconnus en tant que gardiens de la nature, doivent être co-créateurs des projets et des marchés, et inclus dans « tous les aspects de leur conception et de leur mise en œuvre ». Leur libre consentement préalable et éclairé y est également inscrit.

Parmi leurs principes fondateurs, les crédits biodiversité reposent sur la mesure de résultats quantifiables pour la nature. Ils pourraient être mobilisés lors de contributions aux objectifs de protection et restauration de la nature, pour financer la compensation locale d’impacts sur la biodiversité, et pour l’investissement des entreprises à rendre leur chaîne de valeur plus résiliente. Alors qu’il est indiqué qu’il n’y aura pas de monétisation de la nature, il conviendra d’être attentif pour que les compensations locales, qui ne sont pas soumises à évaluation monétaire, ne génèrent pas d’impacts plus loin.

Un document publié le 29 octobre par l’Organization for Biodiversity Certificates propose, lui, de créer plutôt des certificats. Ils se basent sur la mise en œuvre de pratiques bénéfiques à la biodiversité plutôt que la mesure de résultats, et mettent ainsi en avant la contribution à l’effort global de conservation et de restauration de la biodiversité. La mise en œuvre des bonnes pratiques stimulerait les interactions avec des acteurs locaux.  

Jugeant les crédits biodiversité inutiles, certaines ONG proposent simplement de rediriger les subventions néfastes à l’environnement, suivant ainsi l’appel aux gouvernements formulé dans l’accord de 2022 (leur montant atteint 2 600 milliards de dollars en 2024). En ce sens, en novembre 2023, 239 associations, dont les Amis de la Terre, avaient signé un appel commun aux gouvernements et organisations de protection de la nature, entre autres, pour stopper les crédits biodiversité et la compensation, et réglementer plus strictement les activités néfastes. Une réforme profonde du système financier donnerait également plus de liberté d’action à tous les pays, développés et en développement, pour la protection de la biodiversité mondiale.

« Aucun pays, riche ou pauvre, n’est à l’abri des ravages causés par le changement climatique, la perte de biodiversité, la dégradation des sols et la pollution.« 

Antonio Gutteres, Secrétaire général des Nations Unies

COP16 Biodiversité, un bilan positif pour tous les peuples indigènes et communautés locales

Malgré leur rôle de gardiens de la nature, les peuples indigènes et communautés locales du monde restaient peu reconnus jusqu’alors et leurs voix peu entendues. Ils sont pourtant souvent les premiers spectateurs de l’érosion de la biodiversité. À l’ouverture de la COP16, le 21 octobre, les indigènes d’Amazonie avaient fait part de leur besoin d’avoir un financement direct pour protéger leurs territoires.

Un grand pas en avant vient enfin d’être fait en Colombie ! Dorénavant, un groupe permanent assurera la représentation de ces peuples indigènes et communautés locales au sein même de la Convention sur la Diversité Biologique des Nations Unies. Ce statut renforcé enfin obtenu pourra « générer un dialogue plus équitable » espère la présidente de la COP16, Susana Muhamad.

Un fonds spécial contre la « biopiraterie » des ressources génétiques numériques

C’est l’autre bonne nouvelle du bilan de la COP16 Biodiversité ! La biodiversité fournit des ressources génétiques physiques (exemple, des variétés de plantes). Le Protocole de Nagoya, adopté en 2010 à la COP10 Biodiversité, établit un système de partage juste et équitable des avantages qui en sont issus, et permet ainsi de lutter contre la biopiraterie. Cependant, ce protocole ne s’applique pas aux ressources génétiques numériques telles que les séquences ADN stockées dans les banques de gènes, qui peuvent être utilisées par la suite à des fins commerciales. Ce sujet complexe à comprendre est un concentré des problématiques de décolonisation, de justice sociale et de juste répartition mondiale des richesses. Il était source de profonds désaccords entre les nations et les industries bénéficiaires des informations génétiques numériques. L’entreprise de biotechnologies suédo-britannique AstraZeneca a d’ailleurs déclaré que des emplois en Angleterre pourraient être affectés si une taxe était mise en place. Certains pays ont, quant à eux, annoncé une restriction d’accès à leur biodiversité en l’absence d’accord.

Les discussions et négociations en Colombie ont finalement abouti à la création du « Fonds Cali » qui récoltera des bénéfices faits par les entreprises (essentiellement des entreprises pharmaceutiques, cosmétiques et de biotechnologies de pays développés) à partir des données génétiques numériques de plantes et d’animaux de pays en développement. Les compagnies sont invitées à verser 1% de leurs bénéfices (ou 0.1% de leurs revenus) dans ce fonds. Cela permettra de financer les actions de ces mêmes pays en développement en faveur de la protection de leur biodiversité. Au moins la moitié des sommes récoltées devra être fléchée vers les peuples indigènes et les communautés locales, et si possible avec des paiements directs. En revanche, le fonds sera abondé par des contributions volontaires des compagnies, ce qui laisse planer l’incertitude quant aux montants qui y seront versés.

Des efforts unifiés dans la lutte pour la biodiversité et contre le changement climatique ?

Les crises majeures de la biodiversité et du climat sont interdépendantes. Le changement climatique joue un rôle dans l’érosion de la biodiversité (exemple du blanchiment des récifs coralliens dans les eaux qui se réchauffent). Inversement, l’érosion de la biodiversité est une cause d’accentuation du changement climatique (exemple du changement d’usage des sols qui émet des gaz à effet de serre). Dans ce contexte global, la COP16 Biodiversité était l’opportunité de discuter l’unification et les synergies d’effort des COP Climat et Biodiversité, car les solutions sont également interdépendantes. Des efforts communs qui pourraient, par exemple, permettre une meilleure protection de la forêt amazonienne.

Lors des discussions autour du changement climatique et de la biodiversité, une première version d’un accord proposée par la Colombie indiquait qu’il ne serait pas possible d’atteindre les objectifs en matière de biodiversité sans sortir des énergies fossiles, adoptant ainsi le même langage qu’à la COP28 Climat de Dubaï. Une opportunité manquée, car des négociations à huit-clos ont abouti au retrait de toutes les mentions de transition énergétique hors des énergies fossiles dans le texte, sans discussion ouverte sur le sujet. La dernière version du document inclut toutefois la volonté d’éviter les dommages causés à la biodiversité par le développement des énergies renouvelables. Un bilan en demi-teinte donc pour la COP16 Biodiversité sur ce point-là.

Sur le même thème des efforts unifiés, l’initiative « 4 pour 1000 » lancée par la France à la COP21 Climat en 2015 (0.4% d’augmentation du carbone stocké dans les 30-40 premiers cm du sol pour réduire l’augmentation du CO2 dans l’atmosphère) souhaite profiter du calendrier proche des trois COP pour faire le lien entre elles. Alors que 40% des sols sont dégradés, leur préservation représente pourtant un trait d’union essentiel, négligé jusqu’à présent, entre les luttes contre l’érosion de la biodiversité, le changement climatique, et la désertification.

Quel bilan pour d’autres enjeux discutés lors de la  COP16 Biodiversité ?

Malgré les difficultés rencontrées, des militants écologistes, des universitaires, des étudiants, des membres de mouvements sociaux, et des syndicalistes se sont réunis à la COP-critica les 25 et 26 octobre, en parallèle des discussions de la COP16, afin de dénoncer la marchandisation de la nature. 

Alors que les récifs coralliens subissent un 4ème blanchiment de masse (77% des récifs mondiaux affectés), une session d’urgence a été tenue pour augmenter les financements alloués à leur conservation. Cette session a débouché sur des promesses de dons de 30 millions de dollars faites par plusieurs pays, dont la France, qui alimenteront le Fonds des Nations Unies pour les récifs coralliens créé en 2020 (ce fonds a pour objectif de collecter 3 milliards de dollars d’ici à 2030). 

La protection des champignons a également été abordée. Victimes de l’engouement pour la cueillette en forêt, ils sont garants du fonctionnement des écosystèmes forestiers, car ils décomposent la matière organique et interagissent étroitement avec les arbres.

Quelles sont les prochaines étapes ?

Le relais pour la prochaine COP Biodiversité en 2026 a été passé à l’Arménie. La mobilisation pour la COP30 Climat, qui aura lieu en 2025 au Brésil, une autre nation d’Amazonie, a déjà commencé à la COP16 Biodiversité : la Colombie a lancé le mouvement pour la rédaction d’un nouveau pacte concernant les minerais essentiels à la transition énergétique hors des énergies fossiles, le Brésil possédant lui-même de grandes réserves de certains minerais.

Mais avant ça, place à la COP29 Climat à Bakou en Azerbaïdjan du 11 au 22 novembre, suivie de la COP16 Désertification à Riyad en Arabie Saoudite du 2 au 13 décembre. Une fin d’année bien chargée !

« Il est essentiel que ces accords servent de base à des actions concrètes pour protéger la nature, en particulier dans notre région. À l’approche de la COP30 [Climat] au Brésil, l’Amérique latine ne peut plus se permettre de perdre davantage de biodiversité et nous devons mettre en œuvre efficacement les accords adoptés au niveau mondial« 

Estefania Gonzalez, Directrice adjointe de campagne de Greenpeace pour les pays andins

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