L’écologie, la grande perdante du nouveau gouvernement Barnier ?

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PAR Marina Yakovlev

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Politique

SOMMAIRE

Dans la version grand public de son rapport “Tenir le cap de la décarbonation, protéger la population” publié le 27 septembre dernier, le Haut Conseil pour le Climat rappelle l’importance de continuer (et d’augmenter) les efforts pour atteindre la neutralité carbone en 2050 : “Malgré les résultats encourageants de baisse des émissions territoriales de gaz à effet de serre, le second budget carbone de la France [période 2019-2023] ne sera pas tenu”. Un coup de pression quelques jours seulement avant le discours de politique générale du nouveau Premier ministre ? 

Si lors de son discours de politique générale la “dette écologique” de la France a été largement abordée, et que le Premier ministre a annoncé la création d’une grande conférence nationale pour agir sur l’eau, la question des coupes budgétaires dont l’écologie est victime, et qui pourraient s’accentuer avec l’austérité budgétaire à venir, reste, elle, en suspens. Le gouvernement Barnier sera-t-il à la hauteur des attentes écologiques des citoyens, des scientifiques, du HCC et des instances internationales ? Arrivera-t-il à faire face à la dette écologique ? Sa composition ne semble pour le moment ne pas être à la hauteur de l’urgence écologique, et paraît bien loin de la promesse faite par Emmanuel Macron en 2022 lors de son meeting de l’entre-deux tours à Marseille : “ce quinquennat sera écologique ou ne sera pas”.

Vers la fin du Secrétariat Général à la Planification Écologique ?

L’une des premières décisions de Michel Barnier en tant que chef du gouvernement a été de déconnecter le Secrétariat Général à la Planification Écologique de son cabinet. De quoi s’interroger sur la sensibilité écologique du nouveau Premier Ministre

Créé en 2022 par décret présidentiel, le Secrétariat général à la Planification Écologique (SGPE) est chargé de coordonner l’élaboration des stratégies nationales en matière de transition écologique. Peu audible ces derniers temps, le SGPE avait été laissé à l’abandon au sein du gouvernement Attal. Cette nouvelle décision apparaît donc comme un nouveau coup de massue pour ses membres, de plus en plus nombreux à quitter le navire, et qui avaient déjà eu l’impression de s’être “fait rouler dessus” en étant les derniers à apprendre les coupes budgétaires importantes pour l’écologie dans le futur projet de loi Finance 2025. Une séparation entre l’administration et la politique dans les questions environnementales qui ne présage rien de bon pour le futur.

Un super ministère pour l’écologie ?

Si le nom à rallonge du nouveau Ministère de la Transition écologique, de l’Énergie, du Climat et de la Prévention des risques peut impressionner (et rassurer), ce dernier cache une toute autre réalité. Le Ministère, même s’il a gagné deux places au sein du rang protocolaire et se classe désormais à la 8ème place, a perdu de nombreuses compétences clés pour assurer la transition écologique, à l’instar des Transports, de la Mer et de la Forêt. La biodiversité, quant à elle, brille par son absence.

Même si le nom du ministère s’est agrandi, son périmètre s’est rétréci. Il n’y a plus la mer, ni le logement. Donc le ministère perd tout effet de levier possible sur des sujets plus larges

Nicolas Richard pour Reporterre

C’est le périmètre ministériel le plus restreint depuis Jean-Louis Borloo (2007-2010). […] Autant dire que la nouvelle ministre n’aura la main sur quasiment aucune des politiques sectorielles nécessaires à la transition

Marine Braud, experte des enjeux environnementaux 

Pas de secrétariat d’Etat ni de ministre délégué pour la biodiversité, qui n’apparaît pas non plus officiellement du portefeuille de la nouvelle Ministre de l’écologie, Agnès Pannier-Runacher. Grande dernière dans l’ordre protocolaire lors du dernier gouvernement Attal, la biodiversité a, cette fois-ci, tout bonnement disparu, alors que le budget alloué à la protection de la biodiversité devrait vraisemblablement baisser de plus de 20% en 2025. Des choix politiques peu compréhensibles à l’heure de la 6ème extinction de masse, et moins d’un an après la publication de la Stratégie nationale biodiversité, qui nécessite pourtant un suivi minutieux pour assurer sa réussite.

Agnès Pannier-Runacher, Ministre de la Transition écologique, de l’Énergie, du Climat et de la Prévention des risques

Au sein du gouvernement depuis 2018, ancienne Ministre de la Transition Énergétique, et Ministre déléguée auprès du Ministre de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire, Agnès Pannier-Runacher a été nommée Ministre de la Transition écologique, de l’Énergie, du Climat et de la Prévention des risques. 

Si la Ministre connaît bien les dossiers qu’elle devra traiter, ainsi que le fonctionnement des différents ministères, le bilan de ses dernières mandatures est quelque peu mitigé. Fervente défenseuse de “l’écologie des solutions”, Agnès Pannier-Runacher avait provoqué un véritable tollé en mai 2022 en faisant peser la responsabilité du changement climatique sur les individus en pointant du doigt la pollution de nos boîtes mails : “un email un peu rigolo à un ami avec une pièce jointe, et qui consomme beaucoup d’énergie”.

La Ministre a également défendu le projet controversé de l’Autoroute A69, faisant fi de l’avis des scientifiques et des habitants sur place. Elle ne s’est pas non plus opposée aux nouveaux forages pétroliers en Gironde, alors même qu’elle s’était donnée pour mission de “sortir la France des énergies fossiles”, et que l’extension du mandat d’exploitation de la société Vermilion va à l’encontre de :

A cela vient s’ajouter de possibles conflits d’intérêts révélés en 2022 par le média Disclose, avec la société pétrolière Perenco qu’a dirigé son père, ainsi qu’avec une entreprise créée par ce dernier, dont les fonds, domiciliés en partie dans des paradis fiscaux, étaient liés à Perenco, et dont les enfants de la ministre sont actionnaires.

Le cabinet de la Ministre défend quant à lui son bilan en mettant en avant son rôle actif dans plusieurs dossiers tels que la décarbonation de l’industrie, le plan de sobriété énergétique, la promotion des énergies renouvelables, et la baisse des émissions de gaz à effet de serre en France. Cependant, comme le rappelle le Haut Conseil pour le Climat, la baisse récente des émissions de gaz à effet de serre en France est essentiellement dûe à des raisons conjoncturelles, comme la baisse des activités industrielles et la réduction du cheptel bovin. L’institution appelle d’ailleurs l’Etat à redoubler d’efforts et juge les politiques actuelles “insuffisantes” pour faire face aux enjeux climatiques.

Autre tâche au tableau : la présence d’Olga Givernet au sein du Ministère. La députée, qui a fait carrière dans l’industrie des jets privés, avait voté contre leur régulation l’année dernière à l’Assemblée nationale. Nommée ministre déléguée à l’énergie, Olga Givernet est pro-nucléaire et pour l’électrification du parc automobile, mais s’est pour le moment que très peu exprimée au sujet du développement des énergies renouvelables. Un enjeu qui sera pourtant crucial sous sa mandature, alors que la France a été condamnée à une amende de 500 millions d’euros pour non atteinte des objectifs européens en matière d’énergies renouvelables en 2020.

✈️ Pour rappel, la cinquantaine de jets privés en France ont émis pas moins de 80 000 tonnes de CO2 entre mai 2023 et avril 2024, soit 8 000 fois l’empreinte carbone moyenne d’un Français, selon une enquête publiée par Médiapart et Mémoire vive.

Lors de son mandat, Agnès Pannier-Runacher aura plusieurs dossiers à gérer, parmi lesquels le Troisième plan national d’adaptation au changement climatique, la nouvelle Stratégie française énergie-climat (qui doit être traduite dans la Programmation pluriannuelle de l’énergie), la troisième stratégie nationale bas carbone, et la préparation de la COP16 sur la biodiversité en Colombie, ainsi que la COP29 sur le climat en Azerbaïdjan, qui auront lieu au respectivement au mois d’octobre et de novembre.

Dans son dernier rapport, le Haut Conseil pour le Climat a également préconisé à l’Etat français d’investir 60 à 70 milliards d’euros par an d’ici à 2030 dans la transition climatique en financements publics et privés, et d’arrêter les subventions aux énergies fossiles. Un appel qui fait écho à celui de la directrice générale du FMI, Kristina Georgieva, qui a exhorté les gouvernements du monde entier à mettre fin aux 800 milliards de dollars de subventions qu’ils accordent chaque année aux énergies fossiles.

Agnès Pannier-Runacher arrivera-t-elle à se faire entendre au sein du “ministère de l’impossible”, notamment auprès d’Antoine Armand, le nouveau ministre de l’Economie, à l’occasion du budget 2025 ? Va-t-elle créer la surprise, à l’instar de son prédécesseur ? Seul l’avenir nous le dira, mais pour l’instant les prédictions ne sont pas au beau fixe.

Annie Genevard, Ministre de l’Agriculture, de la Souveraineté alimentaire et de la Forêt

Découverte lors de la saga Eric Ciotti Vs le reste du monde grâce à son double des clés du siège des Républicains, Annie Genevard, secrétaire générale de LR et figure de l’aile conservatrice du parti, ancienne professeure de lettres classiques et un temps pressentie pour le Ministère de l’Education, a été nommée Ministre de l’Agriculture, de la Souveraineté alimentaire et de la Forêt.

L’intérêt de la nouvelle Ministre pour l’agriculture date des débats autour du projet de loi d’orientation pour la souveraineté agricole, auxquels elle a activement participé. Elle est également co-signataire du livre blanc des LR sur l’agriculture, qui propose notamment d’instaurer “un moratoire sur la suppression d’outils phytosanitaires” et proposant “moins de charges et moins de normes”. Des propositions très proches des revendications de la FNSEA formulées en pleine crise agricole, en janvier 2024. La FNSEA et les Jeunes agriculteurs se sont d’ailleurs félicité de sa nomination dans un communiqué commun, alors que la Confédération paysanne estime, elle, que cette nomination “n’augure rien de bon pour l’avenir de l’agriculture paysanne”. Notons par ailleurs que le suppléant d’Annie Gennevard qui reprend son poste de députée, l’éleveur Éric Liégeon, a été secrétaire général et vice-président de la branche de la FNSEA dans le Doubs.

“C’est un signal inquiétant. Quand un ou une ministre ne connaît pas bien ses sujets, il est plus enclin à suivre les propositions des lobbys comme la FNSEA”

Nadine Lauverjat, déléguée générale de l’association Générations futures, pour Novethic

Dans son discours lors de la passation de pouvoir avec son prédécesseur, Annie Genevard a largement repris les éléments de langage de la FNSEA, appelant à la simplification normative, la réduction des interdits, la révision des principes de transposition, et au désserrement de l’étau des “contraintes” environnementales pour que l’agriculture française retrouve une certaine “liberté d’action”. Elle a également fustigé les activistes qui “détruisent les moyens de production”, une référence à peine voilée aux mobilisations citoyennes contre les mégabassines. En mai dernier, lors des débats sur la loi d’orientation agricole à l’Assemblée nationale, elle condamnait vigoureusement “ceux qui prônent une écologie punitive et décroissante [et] mettent en péril notre souveraineté agricole”.

Les prises de positions passées de la Ministre sont, quant à elles, éloignées du bien-être animal, de la protection de la biodiversité et de la réduction de notre empreinte écologique :

🐰 Amendement de suppression d’une proposition de loi pour l’interdiction de la chasse le dimanche

🐺 Proposition de résolution visant à abaisser le statut de protection des loups

👀 Abstention sur toutes les propositions de loi contre la maltraitance animale

🐬 Amendements contre la fin des delphinariums

🥦 Amendements contre l’expérimentation d’une option végétarienne dans les cantines

🐣 Amendements contre l’interdiction d’installations de nouveaux élevages de poules pondeuses en cage

💸 Amendement — déclaré irrecevable — pour décourager, via une amende de 50 000 euros, les militants filmant les élevages industriels.

Parmi les chantiers de la nouvelle Ministre : la loi d’orientation agricole et de souveraineté alimentaire, la question des mégabassines, la gestion des cours d’eau ou encore la régulation sur le glyphosate, les néonicotinoïdes et les autres produits phytosanitaires. Annie Genevard devra également répondre aux attentes des agriculteurs : la FNSEA lui a ainsi laissé un délai de 15 jours pour présenter une série de mesure d’urgence afin de faire face à la fièvre catarrhale qui se propage chez les ovins et bovins et à la plus faible récolte de blé depuis 40 ans en raison des fortes précipitations.

Fabrice Loher, Ministre délégué chargé de la Mer et la Pêche

Maire de Lorient, président de l’agglomération et ancien président de son port de pêche, Fabrice Loher a été nommé Ministre délégué chargé de la Mer et de la Pêche. 

Opposition à l’interdiction de la pêche en hiver dans le golfe de Gascogne (qui vise à protéger les dauphins des captures accidentelles), soutien au projet de la Thalasso de Larmor-Plage (bétonisation d’un champ, d’une zone humide et du littoral), défense de la pêche au chalut, … Les prises de positions passées du nouveau Ministre, et ses liens étroits avec Olivier le Nézet, l’actuel président du Comité national des pêches et chantre de la pêche industrielle ne rassurent pas les ONG environnementales et les représentants de la pêche artisanale. 

Claire Nouvian, la fondatrice de Bloom, a ainsi regretté sur X la nomination d’un “lobby lorientais pour défendre la méthode de pêche la plus climaticide qui soit : le chalutage. Laëtitia Bisiaux, chargée de projet chez Bloom, rappelle quant à elle à Reporterre que Fabrice Loher s’était fermement opposé aux “écolos intégristes” lors des quotas sur la pêche en eau profonde en 2006.

Le comité sera le porte-voix de la politique maritime du gouvernement […] Le modèle artisanal n’est pas celui qui fait vivre le port de Lorient. Pour Fabrice Loher, quelles que soient les conditions et quelle que soit la façon dont on travaille, il faut amener du poisson sur le quai

Dimitri Rogoff, président du comité régional des pêches de Normandie et défenseur des “petits” pêcheurs, pour Reporterre

Fabrice Loher devra s’occuper dans les prochaines semaines de la question épineuse de l’éolien en mer, du prix du gazole pour les pêcheurs, ainsi que de l’organisation de la Conférence des Nations Unies sur l’Océan qui se tiendra à Nice en juin prochain.

Bruno Retailleau, Ministre de l’Intérieur

Bruno Retailleau, qui a été nommé Ministre de l’Intérieur, fait quant à lui craindre une hausse de la criminalisation des défenseurs de l’environnement. Un processus déjà à l’œuvre sous la mandature de Gérald Darmanin. 

Il a défendu la dissolution des Soulèvements de la Terre et critiqué la Ligue des droits de l’Homme, en relayant les propos de Laurence Garnier, sénatrice de Loire-Atlantique, aujourd’hui secrétaire d’État à la Consommation : « L’écologie devient le totem d’immunité d’une extrême gauche qui souhaite la zadisation du pays. Ne cédez pas face au totalitarisme vert !« 

En 2022, il a également signé un amendement visant à pénaliser fiscalement les donateurs des associations animalistes qui relayent les images de lanceurs d’alerte s’introduisant dans des exploitations ou des usines d’agroalimentaire. Favorable aux techniques de chasse traditionnelles et à l’élevage intensif, il a aussi signé plusieurs tribunes contre l’interdiction de la corrida et des combats de coqs, ou encore contre l’abolition de la chasse à la glu.

Qu’est-ce que Retailleau va pouvoir faire de plus ? Causer un mort ? Radicaliser encore davantage les forces de l’ordre ? Dans les luttes, les quartiers populaires ou en Nouvelle Calédonie-Kanaky, c’est déjà l’enfer ! Retailleau ne fera qu’accélérer une machine répressive déjà en marche

Militant contre l’A69 pour Reporterre

“Dès qu’on mène une action, on part en garde à vue. Il y a un réel acharnement sur les assos de désobéissance civile. La répression était déjà systématique, avec Retailleau, elle risque de devenir systémique.

Youlie Yamamoto (Attac) pour Reporterre

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